La télé a toujours refusé de faire son autocritique. Je pense sincèrement que si Arrêt sur image n'est pas reconduite, ce ne sera pas pour la remplacer par une émission ayant la même liberté d'expression. Par exemple reprendre le traitement de l'info de France 2 (notammant de Schoenberg, femme du Ministre) pendant le CPE.
Je pense que le dernier espace de liberté de la télé vient de disparaître au profit de la reine audience et du roi gnome.
Pour étayer mes propos je joins l'entretien de Bonaud avec Le Monde a propos de la non reconduction de son émission "La Bande à Bonaud" sur France Inter (même groupe, même patron...)
Le Monde a écrit :près l'arrêt de votre émission, quel est votre avenir à France Inter ?
Depuis cinq ans, la radio est devenue mon métier, mais je sais désormais que je suis interdit d'antenne dans tout le groupe Radio France. Je ne sais donc pas ce que je vais faire.
Pensez-vous avoir une responsabilité dans cette affaire ?
J'ai gravement sous-estimé le fait que depuis un an la direction de France Inter n'est plus obsédée que par l'audience et la concurrence frontale avec les autres grandes radios généralistes. J'ai pris conscience très tard de cette attitude, qui est contraire à la culture de la radio et à ses missions de service public. Les responsables d'Inter espéraient sans doute que je m'adapterais aux temps nouveaux.
Que vous a-t-on demandé pour "vous adapter" ?
Le 21 février, précisément, le marché m'a été clairement mis en main par le directeur de France Inter, Frédéric Schlesinger : à partir de mars, l'émission (16 h 30-18 heures) devait perdre une demi-heure au profit d'"une émission consacrée au patrimoine de la chanson française pour les petites vieilles qui avaient l'habitude d'écouter Frédéric Lodéon" (qui officiait auparavant entre 16 heures et 17 heures). Ainsi je conserverais "une chance d'être à l'antenne à la rentrée". Je me souviens exactement de ses termes. J'ai catégoriquement refusé. Le harcèlement a cessé, l'émission a connu ses plus belles heures, mais mon éviction était dès lors programmée pour fin juin.
Le directeur d'Inter dit vous avoir proposé, dès février, de revenir à un style d'émission "plus intimiste", "plus dans vos cordes"...
C'est une invention pure et simple, il n'en a jamais été question. C'est justement parce qu'il la jugeait "trop intimiste" que Frédéric Schlesinger avait supprimé "Charivari", l'émission que j'animais la saison précédente. Et Jean Beghin, le directeur d'antenne, ne m'a parlé cette année que de "dixièmes de point d'audience" et autres "ardissonneries".
Le comble a été atteint quand il m'a expliqué sa méthode, toute personnelle, pour juger de la qualité d'une émission de radio : "Ecouter l'oreille collée au poste, au plus bas niveau sonore, à la limite de l'inaudible, et alors on entend bien ce qui ressort. Chez toi, rien ne ressort." Nous qui étions si fiers de faire dialoguer Jonathan Littell, auteur du prix Goncourt 2006, Les Bienveillantes, avec Raul Hilberg, historien de référence sur la Shoah, ou de donner la parole à David Lynch, Sami Frey et tant d'autres ! Comment s'entendre avec de tels incompétents, qui n'ont travaillé jusqu'ici que dans des radios musicales de la FM, dans la culture du "gros son" ?
Pensez-vous que votre éviction a des fondements politiques ?
Parlons de faits. En janvier, le directeur d'Inter m'a fait remarquer que l'émission était "très marquée à gauche". En ajoutant : "Il y a déjà Mermet juste avant toi, alors inutile d'en rajouter une louche. Vas-y mollo avec Sarko !" Le directeur d'antenne, lui, fronçait le nez en me disant : "Tu parles quand même beaucoup de société, c'est dommage que l'émission ne soit pas que culturelle." Je pense que "société", dans sa bouche, signifiait "politique". J'ai ignoré ces tentatives d'ingérence pour m'en tenir à l'émission que je souhaitais faire : pointue, légère et insolente.
L'arrêt de votre émission correspond-il à un changement de ligne de France Inter ?
Oui, il s'inscrit dans une entreprise de banalisation de l'antenne. Les responsables ont deux obsessions : l'audience et la télévision. Frédéric Schlesinger insistait au départ pour que je prenne Evelyne Thomas comme collaboratrice spécialisée ! C'est le côté "vu à la télé" que l'on a déjà dans la grille d'Inter. Et tout cela ne fera que s'accentuer, en septembre, avec mon remplacement par Yves Calvi. Cette double obsession conduira à une catastrophe : les contenus seront de plus en plus médiocres, mais les chiffres ne remonteront pas pour autant. Qu'attendent les pouvoirs publics pour intervenir et faire cesser la casse de France Inter, cette exception culturelle à elle seule ?
Propos recueillis par Martine Delahaye
Article paru dans l'édition du 11.07.07.